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La boutique n’existe que depuis fin novembre 2018, rue Saint-Martin, mais elle semble déjà intemporelle, repaire familier et chargé d’histoire qui s’ouvre par un coin cosy avant même de parler (belles) marchandises – cafés, thés et gourmandises de haute lignée. Epicerie épicurienne et fine, Suzanne ne manque ni de caractère ni d’âme. Ainsi l’a voulue (rêvée ?) sa créatrice, Catherine Marret, qui voit dans l’originalité et l’accueil  raffiné l’avenir du commerce de centre-ville. Ses premiers mois d’activité lui donnent raison.

Suzanne était un nom, nouveau dans le paysage du commerce neversois. C’est désormais un visage, celui d’une mamie bienveillante et vigilante, fraîchement peint par le graffeur David Nicolas. Le tableau veille en vitrine, rue Saint-Martin, au-dessus du coin lecture-détente aménagé par Catherine Marret à l’orée de sa boutique. A rebours des préceptes du commerce, la devanture de l’épicerie fine ne promeut pas ses meilleures ventes du moment, mais promet une douceur impalpable, l’attention délicate, le temps laissé au temps. Une épicerie fine à l’image de sa traduction anglaise : delicatessen.

Tel est l’héritage immatériel et omniprésent légué par Suzanne, la grand-mère de Catherine Marret : « Elle était très cuisine, pâtisserie, « tea-time ». C’est elle qui m’a en partie élevée, c’est pourquoi je lui rends cet hommage.  Quand elle invitait, la table était soignée, par respect, même avec de petits moyens. Et il y avait toute une convivialité, un plaisir de se retrouver, de discuter. Tout ce dont j’ai manqué quand je travaillais dans l’industrie. »

Grâce à Suzanne, ouverte le 27 novembre 2018, Catherine Marret exauce un rêve ancien : « Je suis une grande amatrice de thés, de pâtisseries, de cuisine. Et je disais toujours à mon mari qu’un jour, je ferais ce qui me fait plaisir. » Elle n’imagine pas, alors, qu’il lui faudra pour cela traverser des cauchemars. Le décès de son mari, il y a trois ans, puis le départ forcé, brutal, de l’entreprise dans laquelle elle a orchestré, pendant vingt-quatre ans, les achats et approvisionnements.

Dans ce tsunami intime où elle se retrouve projetée avec ses deux enfants, le projet d’épicerie fine-salon de thé sera sa planche de salut : « Une amie, Sophie Lariche (gérante des boutiques Davis et Cassandre, NDLR), m’a tendu la main. Elle m’a donné des conseils, m’a fait un contrat à temps partiel dans son magasin. Je me suis prise au jeu, d’autant plus que les commerçants du centre-ville ont été très accueillants. Il m’a fallu un an et demi pour réaliser mon projet. J’ai suivi une formation, et pris des cours à l’Ecole française du thé et à l’Ecole française du café. Le côté administratif a été complexe, rien n’est fait pour faciliter l’installation. Heureusement que Geneviève Laurent (chargée de mission au service Commerce de la Ville de Nevers, NDLR) croit aux commerces  du centre-ville de Nevers et booste les porteurs de projets quand ils pourraient baisser les bras et partir s’installer sous d’autres cieux… »

L’épicerie fine aurait pu s’appeler Catherine, tant elle incarne le caractère de sa créatrice, un humanisme sans obligation d’achat : « Je n’ai pas fait appel à un architecte, je voulais une boutique qui me ressemble, avec mes qualités et mes défauts. Pas quelque chose d’aseptisé. » Après les deuils, l’urgence de la résilience et la mémoire de Suzanne ont trouvé une cohérence naturelle, évidente, avec les attentes de la clientèle : « Les gens ont besoin d’être écoutés, qu’on leur accorde de l’intérêt. La vie n’est pas simple, ils ont envie qu’on les cocoone. » Le changement n’est pas seulement conjoncturel : « Le commerce de papa-maman (sic), c’est fini. La façon de faire du commerce a changé, surtout dans une petite ville, où les gens sont seuls, ils ont envie de proximité, de lien social. Ils ne viendront en boutique que si on leur apporte autre chose : des produits haut de gamme et de qualité, une ambiance soignée. »

Création d’un salon de thé fin janvier, ateliers autour du thé et du café, partenariats avec des restaurateurs… les idées ne manquent pas pour faire de Suzanne un « classique » du centre-ville. Côté produits, Catherine Marret a aussi fonctionné au feeling : « J’ai choisi ce que j’aurais aimé trouver à Nevers. Je me suis appuyée sur mes goûts personnels et sur ceux de mes amis, des bons vivants. » Elle tape sans complexes à la porte des meilleures maisons, Palais des thés, Mariage Frères, etc. : « Je n’ai essuyé aucun refus. Mon projet a plu », dit-elle fièrement, évoquant une gamme de plus en plus ample. « Ma ligne de conduite, c’est de sélectionner des produits qui ont une éthique, bios, éco-responsables, en biodynamie (1). » Sur les rayonnages, l’étiquetage des produits est discret : « Je ne mets pas les prix en évidence, c’est moins agressif. » Délicatesse, toujours.

Après deux mois d’activité, le bilan est plus que satisfaisant : « Cela se passe très bien. J’ai même embauché une vendeuse bien plus tôt que je ne l’avais prévu. Les gens veulent retrouver le goût des choses, les jeunes générations y sont encore plus sensibles. J’ai une clientèle de tous les âges, de toutes les catégories socioprofessionnelles ; mon objectif est qu’on puisse trouver quelque chose de bon sans y mettre un prix faramineux. »

Néophyte en commerce, Catherine Marret pose un regard frais sur son métier, et rafraîchissant sur le centre-ville – dont la redynamisation mobilise la Ville de Nevers et Nevers Agglomération : « Le potentiel est au-delà de ce que je pensais. Pourquoi faudrait-il faire de Nevers une zone restreinte ? Il faut croire à notre ville. J’ai des clients qui viennent de Moulins, de Bourges. Sans offre, les gens ne se déplacent pas : il faut se démarquer, être différent, élargir les horaires. »

Chez Suzanne, Catherine Marret rayonne, semble apaisée : « Je n’avais aucune appréhension avant d’ouvrir. Je fais enfin quelque chose pour moi, c’est la première fois. C’est à la fois novateur et salvateur. Je me sens bien dans ma boutique, je l’ai pensée telle que je la ressentais. Comme chez moi. » Une ombre passe sur son sourire : « Mon seul regret, c’est de ne pas avoir fait ce magasin plus tôt. J’aurais aimé que mon mari puisse le voir. C’était un battant, il aurait été content de voir que j’étais allée au bout de mon projet. Mes enfants sont fiers de moi, je leur ai montré qu’on peut toujours rebondir. »

1. L’agriculture bio-dynamique est une agriculture garantissant la santé du sol et des plantes pour procurer une alimentation saine aux animaux et aux hommes. Elle accorde une grande importance aux rythmes de la nature et à l’influence des astres, particulièrement des cycles lunaires.

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