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En prélude au 35e D’Jazz Nevers Festival (6-13 novembre), le jazz a troqué l’habit de scène pour le bleu de chauffe. Avec un double objectif : initier des musiciens de tous âges aux finesses lumineuses de l’improvisation durant trois jours de stage, et donner à des enfants des Courlis le frisson sans égal de la création musicale.

Du préado au vocaliste chenu, trois générations cohabitent sur la scène de l’auditorium Jean-Jaurès. Une dizaine de musiciens que le jazzman Jean-Louis Pommier accompagne énergiquement du geste et de la voix en ce troisième et dernier jour de stage où la concentration s’effiloche parfois. « Arrêtez de parler quand j’cause, bon dieu d’là », s’interrompt le meneur de troupe, mi-amusé mi-agacé. « C’est mieux si on se met debout, non ? Cela augmente la lisibilité de la musique, c’est comme une mise en pages », invite-t-il avant que chacun ne se lance, tour à tour, dans un solo sérieux : « Bon, c’est bien, on va rester là-dessus. »

Dans deux autres salles du Conservatoire, ses camarades du trio Clover, Sébastien Boisseau et Alban Darche, bouclent avec leur groupe la dernière ligne droite de ces trois jours de stage, fin octobre, proposés par D’Jazz Nevers, qui ont réuni une trentaine de musiciens amateurs de tous âges et pedigrees ayant pour points communs au moins deux ans de pratique et surtout l’envie d’élargir leur horizon. « Habituellement, on anime des ateliers et master classes avec un public très homogène. Là, c’est encore plus hétérogène qu’on ne le pensait », apprécie Sébastien Boisseau. « Cela demande une grande élasticité, de grandes sueurs pédagogiques pour que tout le monde soit satisfait. »

En trois jours d’ateliers de pratique instrumentale et de master class spécifique (cordes, cuivres et anches), l’objectif n’est pas de transformer les stagiaires en demi-dieux de la technique, mais de « transmettre », insiste Alban Darche : « Comment on prend une décision quand on improvise ? On les emmène dans une zone qu’ils ne connaissent pas, pour qu’ils s’y sentent confortables, qu’ils y prennent du plaisir. On leur montre comment réenvisager le problème, construire un outil et s’appuyer dessus. »

Chacun avec son approche pédagogique, son parcours et son « matériau », les trois membres de Clover tiennent à ces stages qu’ils voient comme des compléments de leur présence sur scène (1) : « On a fait le vœu collectif de s’impliquer sur le territoire, de rentabiliser notre présence en intervenant auprès des amateurs et des scolaires. Cela a du sens, écologiquement et pédagogiquement. » Pour les stagiaires, c’est « beaucoup, beaucoup d’infos », reconnaît Jean-Louis Pommier, conscient que les effets de ce grand bain de musique restent indéchiffrables : « Certains vont trouver que c’est anecdotique, et pour d’autres, ça va changer leur vie. »

Le stage de D’Jazz Nevers, qui vivait sa 3e édition, a son noyau de fans, comme Pascal Bertret et Yohann Pitois, membres de l’harmonie de La Charité-sur-Loire, venus à la musique sur le tard : « On n’a pas souvent l’occasion de côtoyer des musiciens professionnels, des artistes du jazz. C’est une chance exceptionnelle. » Tous deux enseignants en lycée se retrouvent « en situation d’être élèves », face à de « super pédagogues » : « On repart avec de l’envie et de la motivation. » Et l’ultime émotion d’une prestation finale, groupe par groupe, sous l’œil complice des familles et des amis serrés dans l’écrin de poche de l’auditorium. Sans pression ni obligation de résultat, l’alchimie opère, celle de collectifs éphémères soudés par le bonheur de jouer et de s’écouter.

Quelques jours plus tard, direction le Centre socio-culturel de la Baratte pour une autre facette de la transmission impulsée par D’Jazz Nevers. Le saxophoniste Lionel Martin est au cœur d’un projet d’éducation artistique et culturel organisé dans le cadre de l’appel à projets du Contrat de ville de Nevers Agglomération. Après un concert pédagogique fin septembre, la résidence artistique s’est poursuivie, les 28 et 29 octobre, avec des ateliers rassemblant 24 enfants de l’accueil de loisirs, par groupes de quatre.

Premiers en lice, Younes, Emma, Baia et Ahmed se précipitent sur les synthétiseurs qu’ils ont découverts la veille, écarquillent les yeux de ravissement en appuyant sur les touches. Un trait de ruban adhésif marque le do, et le reste tient dans les consignes données par Lionel Martin, saxophone en main : « Je les fais improviser ensemble. La musique, c’est l’écoute, alors je leur montre comment jouer ensemble. »

Face à un public de novices absolus, le musicien international retrouve des souvenirs d’enfance : « J’ai commencé en jouant, à 7 ans. Mon but est de leur montrer qu’on peut s’amuser avec un instrument. » Démonstration quelques minutes plus tard, quand il se joint à l’improvisation, debout, les yeux clos et le corps arqué par l’énergie du son : « Ce qui fait la force de la musique, c’est quand tout le monde est ensemble, c’est puissant », insiste-t-il auprès de ses élèves. Une dernière salve d’improvisations et il leur donne rendez-vous pour le 17 novembre, épilogue de la résidence : « Le soir, on fait un concert. » Le regard des enfants s’illumine : « C’est trop beau. »

En attendant l’arrivée du groupe suivant, Lionel Martin confie son ambition simple qui le conduit à Nevers pas seulement pour jouer sur la scène du D’jazz Nevers Festival (2) : être « le type qui vient avec un instrument » et fait naître l’envie de « faire la même chose ». Le « type » qu’il a croisé enfant et a changé le cours de sa vie : « La musique n’est pas très accessible », regrette-t-il. « Alors que l’art est pour tout le monde. La musique, c’est un truc libérateur, comme la peinture. Il n’y a pas de raison de ne pas en faire. »

1. Clover sera en concert les 9 et 10 novembre à 12 h 15, sur la scène de La Maison.
2. Lionel Martin sera au Café Charbon le 13 novembre à 17 h avec Connexions, un spectacle mêlant musique, danse et dessin autour de la revisitation d’Afrique, album culte de Count Basie.

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