Du chaos naît aussi la beauté. D’Jazz Nevers Festival a illustré cette vieille vérité avec Champs de bataille, saisissante exposition du photojournaliste Yan Morvan à la médiathèque Jean-Jaurès et source d’inspiration d’un photo-concert qui a promené le public du Théâtre municipal sur la frontière barbelée entre le sublime et l’abîme.
Sa mine austère sur le programme est trompeuse. Au vernissage de son exposition Champs de bataille, à la médiathèque Jean-Jaurès, Yan Morvan est une tornade rieuse, un conteur blagueur qui mène la visite officielle au pas de charge, aux côtés de Denis Thuriot, maire de Nevers et président de Nevers Agglomération, et de Roger Fontanel, directeur artistique de D’Jazz Nevers, qui a inscrit l’exposition et sa relecture musicale (voir plus loin) au programme du 35e D’Jazz Nevers Festival.
Comme si quatre décennies à courir les zones de guerre avaient aiguisé le goût de vivre d’un photojournaliste trompe-la-mort revenu intact de ses reportages en Irlande du Nord, au Liban, en Afghanistan, etc. jusqu’au Mali, en 2020, où « papy Yan » en a encore remontré sous 60 °C aux gaillards de la Légion. « Je n’ai jamais été blessé pendant un conflit », assure celui qui a survécu à « deux condamnations à mort », agitant une main à l’auriculaire abrégé d’une phalange : « La seule fois où je me suis blessé, c’est en faisant de la moto sur le circuit de Magny-Cours. »
Aux murs de la médiathèque, ses images captent l’air de la guerre en première ligne, les visages durs comme la brique des gamins de Belfast en 1981, année de la mort de Bobby Sands, « le dernier martyr chrétien », ailleurs des soldats à peine plus vieux posant fiers avec leur mitraillette en bandoulière, des familles de civils qui maintiennent les rituels du quotidien au milieu des ruines. Et ces « champs de bataille », magnétiques, grandiloquents et béants, où les cicatrices de la folie humaine disparaissent sous l’assaut inlassable de la nature.
Trois heures avant le vernissage, les images de Yan Morvan, celles de l’exposition et bien d’autres, envahissent le fond de scène du Théâtre municipal. Le temps (court) d’une relecture de ses Champs de bataille par le trio composé de Christophe Rocher (clarinettes), Vincent Courtois (violoncelle) et Edward Perraud (batterie). L’allégresse initiale se transforme, à petites touches, en une danse macabre où l’harmonie se désaccorde, sur fond de ruines, de statues militaires à la sinistre emphase, de lignes de front, de lignes de fuite. Les instruments grincent, éclatent, sifflent, la mélodie s’accroche en fragments dans le fracas, on y devine des réminiscences orientales, slaves ou irlandaises.
Le silence s’y fait parfois, comme une respiration retenue sous les bombes, l’instant qui suit le chaos. A l’écran, un ado hilare exhibe sa moisson de douilles, un soldat au fusil sur l’épaule tient son enfant comme un paquet, comme s’il avait oublié la douceur des gestes paternels. De la douleur à la douceur, la musique revient comme la nature à l’écran, sur ces théâtres de bataille devenus théâtres de verdure. La vie l’emporte, après tout.
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Champs de bataille, à voir jusqu’au 18 décembre à la médiathèque Jean-Jaurès (1er étage).
Suite et fin du 35e D’Jazz Nevers Festival samedi 13 novembre. Programme sur djazznevers.com