Nevers Agglomération publie une série d’articles consacrés à des artisans de son territoire, dans le cadre de l’opération « Tous avec nos artisans » organisée avec la délégation Nièvre de la Chambre des métiers et de l’artisanat de Bourgogne. Au cœur de ces entretiens, leur traversée de la crise sanitaire du Covid-19, leurs espoirs, leurs peurs, leurs projets. Et une envie de se battre, intacte, dont témoigne la fleuriste Emmanuelle Fabre.
Cette période a développé des solidarités, cela fait du bien d’avoir cette entraide, même si on est concurrents.Â
 Je veux faire travailler le local.
En quelques semaines, Emmanuelle Fabre a révolutionné son quotidien de fleuriste et décoratrice en art floral à Nevers. Loin de subir le confinement, la jeune femme en est sortie plus forte, même si la perspective d’un été sans mariages (une trentaine annulés) flétrit son horizon. Elle qui travaillait avec un fournisseur la livrant au magasin met désormais son réveil chaque mardi à 2 h pour rallier Rungis à 5 h et rentrer à Nevers avant 10 h : « J’ai fermé mon magasin pendant les quinze premiers jours du confinement, sans la moindre activité, car c’était impossible de s’approvisionner en fleurs. Puis les fournisseurs ont commencé à se réveiller un peu. Mais le mien a décidé de ne faire que les grandes villes, et de ne plus servir Nevers. Alors j’ai décidé de ne plus travailler avec lui, et d’aller chaque semaine à Rungis, où le contact est très agréable avec les producteurs et où j’ai trouvé une meilleure qualité de fleurs. »
L’initiative a fait naître une belle entente avec sa collègue des Jardins de Saint-Pierre, Delphine d’Angelo : « On montait à Rungis avec un seul véhicule. Cette période a développé des solidarités, cela fait du bien d’avoir cette entraide, même si on est concurrents. Une fleur reste une fleur, chaque artiste la travaille à sa manière. » La création de « box » formant un écrin de fleurs pour du vin, des bijoux ou des produits de beauté est une autre charmante surprise qui a poussé sur le terreau incertain du confinement, là encore grâce à des liens noués avec d’autres commerçants – la Maison du vin, la bijouterie Dornier, la Chênaie.
« Au fond du seau » pendant les premières semaines, contrainte de placer ses deux apprenties au chômage partiel jusqu’à l’aube du déconfinement, Emmanuelle Fabre a trouvé la force de surmonter sa « grosse trouille ». Même fermée au public, sa boutique a tourné, finalement : « J’évalue ma perte de chiffre d’affaires à 40 % pendant le confinement. J’ai eu beaucoup de commandes pour des bouquets anniversaire. Des nouveaux clients, aussi. Il y avait une envie de fleurs, de couleurs, pour égayer cette période. J’assurais les livraisons, les gens étaient contents. J’ai eu beaucoup de mercis, ça faisait chaud au cœur, ça donne envie de se battre. » Tout comme les messages de soutien de ses clients, « qui ne comprenaient pas pourquoi les grandes surfaces avaient le droit de vendre des fleurs, et moi non ».
Grand « gagnant » du confinement, son site internet a vu sa fréquentation s’enflammer aussi spectaculairement qu’un champ de coquelicots au printemps : « En temps normal, la vente en ligne représente 5 % de mon chiffre d’affaires. En avril, c’était 80 %. Et ça continue malgré le déconfinement. Je prépare les bouquets, je montre les photos au client et j’envoie. » La vente en ligne plaît tellement qu’Emmanuelle Fabre a décidé de se lancer, durant l’été, dans la livraison nationale, en faisant appel à un transporteur de Saint-Eloi : « Je veux faire travailler le local. » En espérant que les belles déclarations confinées d’amour des circuits courts résisteront au retour à la vie d’avant : « Il ne faut pas que les gens nous oublient. Et pour ça, on doit communiquer, être présent sur les réseaux, sur internet. On a tout ici, il faut juste s’y intéresser et se renseigner. »
La fille et petite-fille de fleuristes imphycois, installée à Nevers en 2012, sort de ces mois d’apnée avec des sentiments mêlés, une ambivalence douce-amère : « Il y a la peur de ne pas savoir où on va, la peur du reconfinement, le manque de perspective. Mais cette période m’a permis de poser les choses, tout remettre à plat. Et de faire de belles rencontres. De toute façon, ce métier, c’est ma passion, je ne me vois pas faire autre chose. »