Vendredi 4 et samedi 5 octobre, le public a rendez-vous à La Maison pour découvrir la création de Juste la fin du monde (quelques éclaircies…), chef-d’œuvre de Jean-Luc Lagarce délicatement monté par le Théâtre du temps pluriel. A rebours du film qui a popularisé la pièce, le metteur en scène et comédien Olivier Broda offre la vedette à un texte étourdissant de puissance et d’intensité, dissection d’un « nerf » de famille terriblement intime et universel.
De Jean-Luc Lagarce
Théâtre du Temps Pluriel
Mise en scène : Olivier Broda
Avec : Olivier Broda, Marie-Julie de Coligny, Louise Jolly, Iwan Lambert et Anaïs Muller
Scénographie : Noëlle Ginéfri-Corbel
Assistance à la mise en scène : Anne-Laure Pons-Le Marrec
Costumes : Claire Schwartz
Lumières et régie générale : Gilles Gaudet
Musique : Mathieu Baillot
Production déléguée : Théâtre du Temps Pluriel
Coproduction et diffusion : La Maison/Nevers – Scène conventionnée Art en territoire en préfiguration
Avec les soutiens de la Ville de Nevers, de Nevers Agglomération, du Conseil Régional Bourgogne-Franche-Comté, du Conseil Départemental de la Nièvre et de la saison culturelle de la Ville de Ferney-Voltaire
Texte publié aux Editions Les Solitaires Intempestifs
Juste la fin du monde (quelques éclaircies…), vendredi 4 et samedi 5 octobre, 20 h, La Maison à Nevers.
A quelques jours de la première, la création de Juste la fin du monde (quelques éclaircies…) colle à son titre. Des lumières qui flanchent, un chantier mitoyen qui frappe les trois coups à n’en plus finir. Sur la scène de la petite salle de La Maison, Olivier Broda bout : « On va essayer de faire avec ce qu’il y a jusqu’au Barbara. »
En attendant les derniers réglages, les comédiens patientent, Marie-Julie de Coligny et Louise Jolly papotent, Anaïs Muller se répète des bribes de monologue, Iwan Lambert examine la composition de son gilet de jeu : « Acrylique, viscose, polyamide. » Olivier Broda souffle en passant : « Il va falloir qu’on lave tout ça avant d’empoisonner tout le monde. » Et, voyant le champ de ruines temporaire des jeux de lumière si patiemment ouvragés avec le régisseur Gilles Gaudet, annonce, pince-sans-rire : « Je vais pleurer. »
Puis le noir se fait : « C’est bon, Olivier. » Le filage commence, Juste la fin du monde éclot. Le texte de Jean-Luc Lagarce déploie sa beauté nue, serti dans une mise en scène sans artifice. Les mots, les bourrasques de mots, les pelletées de phrases remblayant le silence, racontent une histoire simple, vieille comme le monde. Le retour à la maison d’un fils longtemps parti, bientôt mort, qui retrouve sa mère, son frère, sa sœur, découvre sa belle-sœur, replonge dans le bain glaçant des névroses et des aigreurs enfouies. Une variation déréglée de la parabole biblique du fils prodigue – joué par Olivier Broda.
Montagnes de mots à mémoriser, les monologues de Lagarce fouaillent cette défaite de famille, ces non-dits ensevelis sous des flots de paroles, cette pensée qui s’exprime et se réajuste sans cesse. La force du langage renverse tout sur son passage, fait oublier le chantier, les lumières défaillantes. Jusqu’au Barbara, donc, Mon Enfance en contrepoint : « Il ne faut jamais revenir aux temps cachés des souvenirs, du temps béni de son enfance. Car parmi tous les souvenirs, ceux de l’enfance sont les pires, ceux de l’enfance nous déchirent. »
Après une heure de filage, la troupe s’égaille, Olivier Broda sourit, raconte : « C’est une pièce que je veux monter depuis 2006. J’attendais d’avoir la maturité pour le faire. Jean-Luc Lagarce est un immense auteur, comme Claudel ou Racine, il est intimidant et stimulant. » Avec son Théâtre du Temps pluriel, qu’il a créé en 2009, le metteur en scène a pu compter sur le soutien de La Maison, où il est artiste associé, pour monter son projet : « La conjoncture est complexe, il y a une grande frilosité, on a de plus en plus de problèmes de diffusion. Et puis les gens choisissent, aussi, ils préfèrent aller au cinéma qu’au théâtre. »
Le cinéma, justement, a donné un écho grand public à l’œuvre de Jean-Luc Lagarce, adaptée par Xavier Dolan avec un casting cinq étoiles – Nathalie Baye, Vincent Cassel, Marion Cotillard, Léa Seydoux, Gaspard Ulliel. Pas forcément une chance pour Olivier Broda, sévère avec le film, qu’il trouve trop éloigné du texte, trop hystérique, trop « dolanisé ».
« Son » Lagarce, lui, s’appuie sur la puissance d’une langue qui pourrait se suffire à elle-même : « Il n’y a pas de didascalies chez Lagarce. J’en ai fait ma lecture, j’y ai mis de la rondeur, de l’onirisme, et de la lumière. Quand on parle de la mort, c’est dans la lumière que ça doit se passer. » Présentée à La Maison vendredi 4 et samedi 5 octobre, Juste la fin du monde (quelques éclaircies…) tournera dans la Nièvre cet automne et au printemps prochain. Olivier Broda croit à son urgence, à son évidence : « On est dans un monde où le langage est policé, où on ne prend plus le temps de parler, de penser. Cette pièce, c’est une façon de remettre le langage au cœur du monde. Et elle montre que l’intime peut être subversif, qu’on peut parler de l’universel au travers de soi. »
Arrivé dans la Nièvre il y a dix-huit ans, l’ancien élève ingénieur de l’UTC de Compiègne détourné par sa passion du théâtre ne se laisse pas déstabiliser par un air du temps moins tendre pour sa profession : « Je reste persuadé de la force du spectacle vivant. Je défends aussi la sauvegarde de son artisanat, celui des peintres de décor, de la création du son, des lumières. Pour rien au monde je ne changerais de métier. »