Adopté à deux ans par un couple de Nivernais, Paul Allossery est retourné pour la première fois en Haïti, fin juillet. L’adolescent avait collecté 70 kg de vêtements, fournitures, médicaments, etc. ainsi que 2 000 € pour aider la reconstruction de l’orphelinat qui l’avait recueilli. Le voyage solidaire et salutaire l’a frotté, avec sa mère adoptive, au chaos d’un pays en instabilité chronique.
Dans quelques semaines, quand Paul Allossery fera sa rentrée en Terminale L au Centre scolaire Notre-Dame, son récit de vacances se distinguera sans peine de celui de ses camarades. Certes, l’adolescent a pris l’avion, direction les Caraïbes, mais ce n’était pas pour une semaine de farniente « all inclusive » dans un village vacances de la République dominicaine.
Son voyage l’a mené en Haïti, une île-pays sans cesse soufflée par les folies humaines et les outrances naturelles. Le pays dans lequel il est né Moïse Charles, il y a seize ans, sauvé d’une mort certaine par l’orphelinat La Maison de l’espoir, à Port-au-Prince : « Une ONG est venue me recueillir dans la rue, mes parents mouraient de faim et j’étais enfant unique », raconte-t-il d’un début dans la vie dont il n’a, forcément, aucun souvenir.
A 23 mois, en décembre 2004, il est adopté par Céline et Joannic Allossery, couple nivernais sans enfants. « Cela faisait six mois qu’il était à l’orphelinat, au milieu d’une centaine d’enfants, et il ne supportait pas d’y être. Il refusait de s’alimenter, de jouer. Dès qu’il a été avec nous, il s’est ouvert. Mais il n’est toujours pas à l’aise avec la foule », complète Céline Allossery (1).
Elevé dans un cadre aimant, serein, sécurisé, qu’est venue rejoindre en 2007 Camille, petite Rwandaise, Paul Allossery n’a pas connu les tourments qui pèsent parfois sur les enfants adoptés, une identité à trouver entre deux vies, deux pays, deux familles : « Je l’ai toujours bien vécu, quand j’étais enfant j’arrivais facilement à en parler. J’éprouvais même une certaine fierté d’être né à l’étranger, d’être différent de mes camarades de classe. » Une « différence » que quelques-uns lui font cruellement payer, et qui a amplifié sa sensibilité – et une saisissante maturité : « C’est vrai que je m’inquiète un peu plus de ce qui se passe autour de moi. La misère, la pauvreté, je fais assez attention à ça. »
Avec Haïti, la relation a longtemps été complexe : « Je me suis toujours intéressé à mon pays, mais je n’avais pas forcément envie d’y retourner. » L’avancée dans l’adolescence le fait évoluer : « C’était une question d’identité, savoir qui je suis, d’où je viens. D’un seul coup, j’ai eu besoin d’y retourner. » Quand il apprend que son orphelinat a été détruit par un incendie, en février 2018, Paul Allossery passe à l’action, organise une collecte de vêtements, fournitures scolaires, jouets, produits d’hygiène, médicaments, etc. et d’argent pour acheter de la nourriture sur place.
Le 16 juillet, il prend l’avion pour Port-au-Prince avec sa mère adoptive, une amie psychologue mais aussi 70 kg de bagages et 2 000 €. « J’éprouve de l’impatience, j’ai envie de me faire mon propre ressenti », confiait-il avant le départ, conscient qu’un autre monde l’attendait, brutal, chaotique, dangereux. Quelques jours après son retour en France, l’adolescent semble apaisé par cette semaine : « Tout s’est très bien passé. » Hébergés par un couple suisse dans une maison bunkerisée, surveillée par des gardes armés jour et nuit, les trois Français ne se risquent dans la capitale que dissimulés à l’arrière d’une voiture conduite par un chauffeur local : « Il ne fallait pas qu’on soit vus, sinon on risquait d’être attaqués par des gangs. Les Blancs, c’est l’argent », explique Céline Allossery.
Les bidonvilles, les monticules de déchets, l’insécurité permanente… le quotidien du peuple haïtien saute aux yeux de son fils, pourtant préparé : « Ce que j’ai vu s’accordait avec ce que j’avais en tête. Là -bas, les gens vivent au jour le jour. Ça donne un autre regard sur le monde. » Dans l’orphelinat reconstruit, Paul Allossery joue avec les enfants, distribue les bonbons, sucettes : « Il y avait un effet miroir. » Les 2 000 € sont investis au profit du commerce local, convertis en aliments de première nécessité, sacs de riz, huile, pois : « Tout vient des Etats-Unis, et tout est beaucoup plus cher qu’en France », précise Céline Allossery. Les voyageurs partagent les denrées collectées et celles achetées sur place entre l’orphelinat et une mission nichée dans les montagnes surplombant Port-au-Prince, où l’ambiance est moins oppressante et les paysages moins ravagés : « Il y avait beaucoup de végétation, c’était très beau », sourit l’adolescent.
Le retour vers la France, le 24 juillet, n’a pas eu la saveur amère d’un déchirement : « Si nous étions restés deux semaines, cela aurait fait trop. Nous n’aurions pas tenu le coup », affirme Paul Allossery, d’une voix toujours étonnamment posée. Avec ses parents, il souhaite continuer à s’investir, collecter, en s’appuyant sur les associations de parents adoptants pour acheminer les produits en Haïti : « J’y retournerai un jour, mais je ne sais pas quand. Je suis content d’avoir fait ce voyage maintenant. Plus jeune, je n’aurais pas pu comprendre ce qui se passait. »
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Céline Allossery travaille depuis quelques mois à Nevers Agglomération, en tant que coordonnatrice du Plan local pour l’insertion et l’emploi (PLIE).