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Un bol de métal en guise de casque, et c’est tout. Corps offert entier à leur passion, les pilotes de motocross drainaient les foules à Vauzelles, Forges, Montreuillon. On y venait en famille, costume cravate et robe à fleurs ennuagés de poussière et de parfums d’essence. De 1950 à 1990, cette tranche épaisse et épique du sport mécanique nivernais est servie fumante par l’écrivain journaliste Jean-Michel Marchand dans Rétro 2-roues en Nivernais.

Jour de Motocross du Morvan à Montreuillon, 23 août 1970. La foule est dense à flanc de colline, sur une bande de prairie cernée par un collier de haies et une moumoute de buissons crépus. Les regards sont braqués vers la gauche, sur le spectacle hors champ. La pastille d’un zoom se focalise sur un jeune garçon, assis sur l’herbe, regard froncé, mine concentrée. Près de lui, on reconnaît la forme d’une feuille blanche, sans doute le programme du jour. Peut-être la fera-t-il signer par les héros de cette 4e édition, à son chouchou Jean-Jacques Auguste, qui s’imposera ce jour-là.

Ce garçon, c’est Jean-Michel Marchand, tombé dans la marmite bouillonnante du motocross en accompagnant son père. Tel le héros du Fever Pitch de Nick Hornby, marqué à vie par ses années d’enfance à regarder et supporter les footballeurs d’Arsenal, le jeune Nivernais a gardé au fond de lui l’empreinte de ces « sorties dominicales bien plus motivantes que la fête foraine d’une commune alentour ou – pire – un grand repas de famille ». Son Highbury à lui, ce sont les motocross de Forges et de Montreuillon, les « trous de bombe » de Vauzelles. La foule, le bruit, la poussière, les chutes, les podiums, les ingrédients d’une fabuleuse flambée d’émotions qui calcine la banalité quotidienne.

Cinquante ans plus tard, après avoir édité deux sommes colossales sur le football et le cyclisme nivernais (1), l’écrivain-journaliste boucle le troisième de ses travaux d’Hercule : Rétro 2-roues en Nivernais et Bourgogne. Soit 428 pages abondamment illustrées, rigoureusement légendées, qui racontent avec une patience bénédictine quatre décennies de moto tout-terrain, de 1950 à 1990. Somptueuses, saisies sur le vif, les centaines de photos sont tirées pour la plupart des archives de journalistes sportifs de la Nièvre – Paul Berthelot, Alain Durand, André Gaudry et Roger Joigneaux, tous piliers du Journal du Centre.

On y voit le courage insensé des chevaliers sans armure, tout juste surmontés d’un anecdotique casque calfeutrant la calotte crânienne, dévaler les pistes tassés sur leur engin, attaquer les virages en se frottant les jarrets, monter à l’assaut des côtes poitrail au vent. A quelques dizaines de centimètres, si près qu’ils pourraient les toucher en tendant le bras, les spectateurs semblent arrivés directement de la messe ou du déjeuner en famille – habits du dimanche, costume, cravate, jolies robes et bermudas.

Les miss locales sont réquisitionnées pour la remise des bouquets, posent pimpantes à côté des vainqueurs du jour, cheveux gominés par la sueur et visage buriné par l’effort. Au fil des pages, c’est « l’aventure du motocross » qui se déroule, mi-road-book, mi-chanson de gestes. Jean-Michel Marchand l’enlumine de témoignages de ces héros d’antan, pilotes, organisateurs, commentateurs. Même pour le profane, l’aller-retour entre passé et présent, histoire et mémoire, devient une plongée fascinante dans cette Nièvre populaire et fiévreuse, . La seconde moitié de l’ouvrage aborde d’autres disciplines de la moto tout-terrain, l’enduro, le raid. Le chapitre trial mène en douceur au BMX, transition vers le cyclisme, un autre sport-roi en Nivernais. Critériums et autres Grands prix internationaux ont attiré dans le département certains des plus grands noms de la « petite reine », du « campionissimo » Fausto Coppi engagé en 1958 à Moulins-Engilbert à Bernard Hinault en passant par Louison Bobet, Charly Gaul, Raymond Poulidor ou Eddy Merckx. Cette collection de géants, Jean-Michel Marchand a le bon goût et l’élégance de la mêler sans façons aux photos de dizaines de champions locaux dont les noms et les exploits ont tricoté l’histoire du cyclisme nivernais. Une toison d’or qui inspire des témoignages admiratifs à leurs jeunes héritiers du XXIe siècle, dont l’auteur a sollicité le regard sur ces « forçats de la route ».

1. Figures du cyclisme nivernais (1900-2008), paru en 2008, réédité en 2009 ; Football nivernais – Un siècle d’histoire(s), 2018.

 

Rétro 2-roues en Nivernais et Bourgogne, Jean-Michel Marchand, 428 pages (noir et blanc et couleur), éditions D’une Pierre de Coux, 45 €.

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