A l’invitation de la Ville et de l’Agglomération, un hommage a été rendu devant l’hôtel de ville de Nevers à Samuel Paty, l’enseignant assassiné le 16 octobre par un terroriste. Au-delà du « chagrin » et de « l’effroi » qu’inspire cet attentat, Denis Thuriot, maire de Nevers et président de Nevers Agglomération, a appelé à l’intransigeance après « cette nouvelle agression contre un des symboles de notre humanité ».
Sur le perron de l’hôtel de ville, élus, représentants de l’Etat et autorités religieuses, enfants et adultes ont « serré les rangs », comme pour mieux symboliser la force de la République et de ses valeurs après l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty, vendredi 16 octobre, à proximité de son collège de Conflans-Sainte-Honorine. A quelques heures de l’hommage national rendu mercredi soir à la Sorbonne, le maire de Nevers et président de Nevers Agglomération, Denis Thuriot, a évoqué le choc, le chagrin et la révolte suscités par cet acte terroriste.
« Depuis ce soir du 16 octobre, quelque chose s’est cassé. Quelque chose s’est encore cassé au plus profond de nous. Comme le 7 janvier 2015, le 13 novembre 2015, le 14 juillet 2016, nous revoici au bord de l’abîme, pris de vertige et de nausée, face à un nouvel assaut de la barbarie contre la digue qui protège notre humanité.
Depuis ce soir du 16 octobre, je suis, vous êtes, nous sommes tous Samuel Paty. Nous sommes tous cet homme qui rentrait paisiblement de son travail, à pied, sans doute plongé dans ses pensées, encore un peu dans sa dernière journée de cours au collège du Bois-d’Aulne, pas encore tourné vers ces vacances de la Toussaint. Sans doute pensait-il à son petit garçon de 5 ans, aux activités qu’ils allaient partager. Peut-être pensait-il encore à cette polémique absurde qui empoisonnait sa vie depuis quelques jours.
Ce soir du 16 octobre, a-t-il vu cette silhouette se précipiter vers lui, un long couteau à la main ? Samuel Paty a-t-il compris que ce jeune homme à peine plus âgé que ses élèves s’apprêtait à le tuer à cause d’un cours ordinaire sur la liberté d’expression, comme il en avait fait des dizaines, des centaines peut-être, au cours de sa carrière d’enseignant exemplaire, apprécié de ses élèves et de ses collègues ?
Nous ne le saurons jamais, bien sûr, mais j’avoue que ce face-à -face me hante. Les derniers instants de Samuel Paty me hantent. Comme vous tous sans doute, je n’imaginais pas qu’un professeur d’histoire serait un jour assassiné avec une sauvagerie effroyable à quelques centaines de mètres de son collège, de ses élèves. Comme nous n’imaginions pas que dans notre France du XXIe siècle, on pourrait entrer dans la cour d’une école juive de Toulouse et tuer froidement des enfants à bout portant. Que l’on pourrait mourir un jour, sous les balles d’une arme de guerre, dans la salle de rédaction d’un hebdomadaire satirique, ou en faisant ses courses dans une supérette casher, en assistant à un concert de rock ou en revenant d’un feu d’artifice sur l’une des promenades les plus romantiques du monde.
Comme à chaque fois, ce sont le chagrin et l’effroi qui nous étreignent en voyant le terrorisme frapper aussi brutalement, faucher des vies célèbres ou le plus souvent anonymes, des enfants, des parents, des grands-parents, des frères, des sœurs, des amis. Cette fois-ci, c’est un enseignant qui a été pris pour cible, un homme que la plupart d’entre nous associent au plus beau métier du monde, celui qui transmet la connaissance, le savoir, l’essence même de ce qui fait de nous des humains.
Au cours de notre enfance, de notre jeunesse, nous avons tous croisé des Samuel Paty, des professeurs passionnés, bienveillants et chaleureux qui apportent tour à tour des parcelles de lumière pour éclairer notre monde, pour mieux comprendre d’où il vient, où il va, ce qu’il est, ce que nous sommes. Cette lumière, celle de la liberté de penser, de rire, de danser, de rêver, c’est celle que le fanatisme religieux veut à tout prix éteindre pour mieux déployer la toile de son obscurantisme.
Face à cette nouvelle agression contre un des symboles de notre humanité, nous devons plus que jamais serrer les rangs, ne montrer aucune faiblesse, aucune faille, malgré nos larmes, malgré cette insupportable douleur qui nous cisaille à chaque attentat. Nous devons être intransigeants et surtout solidaires envers les enseignants qui ont si souvent été malmenés et dénigrés au cours de ces dernières décennies. Peut-être ne les avons-nous pas assez défendus face aux discours populistes qui les accablent de tous les maux. Peut-être avons-nous oublié qu’ils étaient jadis les hussards noirs de la République, les fantassins d’un savoir qui se démocratisait enfin, mais aussi, parfois, des héros prométhéens combattant les ténèbres avec la lumière dans un simple collège de banlieue.
Pour avoir montré à ses élèves le fabuleux pouvoir de la liberté d’expression tellement insupportable aux yeux aveugles des intégristes, Samuel Paty a donné sa vie, ce 16 octobre. Ne l’oublions jamais et soyons dignes de lui et de son sacrifice en chérissant cette liberté, toutes ces libertés qui sont aujourd’hui menacées comme aux plus sombres heures de notre démocratie.
Alors, ne fermons pas les yeux en prenant ensemble toutes les mesures pour écarter ceux qui veulent s’en prendre à nos valeurs et à notre démocratie. Montaigne nous a enseigné que ce dont nous avons le plus peur, c’est la peur. Cette peur, elle doit changer de camp. Personne ne nous empêchera de penser. Et lui, Samuel Paty, comme toutes les autres victimes du terrorisme, l’a payé de sa vie, car il n’a pas renoncé. « Nous devons notre liberté à des hommes qui ne plient pas, ne s’agenouillent pas, ne se soumettent pas ». Cette phrase du général de Gaulle, qui nous a permis, avec d’autres et dans l’unité nationale, de retrouver une France libre, nous devons tous nous sentir concernés, sans exception, et en être les dépositaires et les acteurs. »